Sur l’impérialisme du XXIème siècle et ses enjeux stratégiques

Notes critiques

Le monde serait-il devenu un « chaos » ? La formule fait florès depuis quelques temps.
On la retrouve notamment au cœur des contributions écrites récemment par de camarades participant aux débats de la IV° internationale et du NPA comme Pierre Rousset, François Sabado [1] et Yvan Lemaître [2]. Une discussion qui s’inscrit dans un cadre plus large où l’on peut lire également des contributions de Michel Husson [3] et Alex Callinicos.

Il est vrai que l’urgence et le caractère dramatique de la situation, tout particulièrement au Moyen-Orient - comme la faiblesse remarquée et les échecs semble-t-il à répétition des États-Unis - nous interrogent inévitablement. Il y a bien en effet, ici et là, des situations de chaos. Elles ne sont pas tout à fait nouvelles non plus. Pensons par exemple à l’échec de l’intervention américaine en Somalie en 1994 - trois ans après l’annonce d’un « nouvel ordre mondial » par George Bush - dont une partie des difficultés venait justement de l’absence d’État et de l’implosion de la société : l’enjeu n’était plus alors pour l’impérialisme de contrôler telle ou telle force susceptible d’être un allié, mais bien de reconstruire des points d’appui qui n’existaient plus, sans succès jusqu’à aujourd’hui.
Pourtant le monde lui-même n’est pas le chaos, l’impérialisme n’est pas le chaos. C’est une étape du développement du capitalisme qui a sa propre cohérence, ses contradictions bien évidemment, mais qui continue à structurer fondamentalement le capitalisme à l’heure actuelle. On peut y voir sans doute plus de désordre, mais ce n’est pas la même chose. Et puis surtout, il y a un préalable à cette discussion : un retour critique absolument indispensable sur nos propres grilles de lecture. Alors que l’impérialisme a manifestement quelque peu changé depuis la dernière publication de Lénine sur le sujet en 1916, c’est-à-dire depuis un siècle maintenant ! C’est un détour indispensable si nous ne voulons pas être les victimes de quelques illusions d’optique qui peuvent fausser notre jugement sur ce qui aurait changé ou pas dans le monde d’aujourd’hui.

De ce point de vue, deux ouvrages ont retenu mon attention : celui de David Harvey [4] et celui de Claudio Katz [5]. Ce dernier surtout, car il met le doigt sur un phénomène peut-être un peu trop négligé dans les contributions que je viens de citer plus haut mais qui est fondamental : l’affirmation de l’hégémonie américaine après 1945 - dont l’une des conséquences, déjà à l’époque, était que l’impérialisme n’avait plus grand-chose à voir avec celui que décrivait Lénine trente ans plus tôt. L’oublier, c’est se tromper inévitablement sur les changements à l’œuvre aujourd’hui, les « basculements » éventuels, les étapes et la signification d’une évolution. Dans la discussion entre rupture et continuité qui s’inscrit au cœur de toute mise en perspective, c’est se tromper de chronologie et fausser inévitablement le raisonnement.
L’enjeu est donc bien d’apprécier au plus juste les évolutions actuelles, en partant des analyses de François Sabado et d’autres camarades qui insistent sur une double crise - celle de l’hégémonie américaine et celle du mouvement ouvrier, tout en insistant sur la difficulté à construire une alternative - et les conclusions que nous pourrions en tirer sur la dynamique actuelle du réformisme et l’actualité d’une stratégie révolutionnaire.

Du poids du passé et du bon usage de la théorie

Prendre la mesure de notre retard dans l’élaboration commune est essentiel. De vieux débats presque oubliés, issus du mouvement trotskyste, pourraient sembler dépassés ou appartenir à un passé révolu, mais il n’en est rien. Les vieux fantômes ne sont jamais loin.
Il y a donc un certain intérêt à jeter un coup d’œil dans le rétroviseur et à faire un bilan critique de l’usage que nous avons pu faire les uns et les autres de certaines théories, avant de proposer de nouvelles hypothèses. C’est le cas notamment avec la « théorie de la révolution permanente » dont les enjeux restent d’une brûlante actualité, même après la fin de la décolonisation, et bien que l’URSS ait disparu [8].

D’abord parce qu’il reste quelques scories de l’histoire, mais qui éclairent à leur façon une certaine manière de raisonner aujourd’hui encore. On en a eu une illustration presque caricaturale avec la déclaration qu’a faite très récemment le bureau de la Quatrième Internationale à propos de Cuba : « Une victoire et des risques »
Certes la déclaration n’oublie pas qu’il s’agit d’un État bureaucratique, ou plus prosaïquement une dictature contre la population elle-même, même si elle a été amenée à affronter jusqu’ici l’impérialisme. La référence à la « révolution politique » est un incontournable de la tradition trotskyste, « la mobilisation populaire et la constitution d’une authentique démocratie socialiste » sont un point d’appui essentiel. Mais ils le sont à côté d’autres points d’appui possibles, parait-il. Car après avoir salué « la fibre libertaire de la révolution cubaine » et ses « partisans de l’autogestion sociale », la même déclaration s’empresse d’expliquer que « ces courants (…) ont certains relais au sein du Parti communiste cubain ». Avant de conclure sur la nécessité non seulement d’une parole libre « dans toutes les organisations populaires à Cuba », mais sur le fait déjà plus étonnant que pour « garantir » cette liberté, cela devrait « passer par l’organisation de formes de pluralisme dans le Parti communiste cubain »… Ou comment à force d’idéaliser depuis longtemps cette révolution - et lui prêter des vertus « socialistes » qu’elle n’avait certainement pas - on en est encore en 2014 à espérer quelques réformes de l’intérieur du système vers un socialisme plus « authentique » !
Le dérapage n’est ni anodin ni anecdotique. Il illustre à sa façon toute la difficulté que nous avons à penser ce que devenu l’impérialisme aujourd’hui, alors que nous avons déjà bien du mal à nous mettre d’accord sur ce qu’il était hier – comme sur le « socialisme » censé être incarné même de manière déformée par de prétendus « États ouvriers ». Difficulté qui rejaillit sur celle qui consiste à analyser le monde actuel à partir de références disparates.

Ce dérapage illustre également un problème assez fondamental sur l’usage que l’on fait d’une théorie. Car bien des courants dont le Secrétariat unifié ont bataillé pendant des décennies pour essayer de prouver à partir de quelques exemples comme la Chine ou Cuba (mais aussi pendant un temps avec l’Algérie et le Nicaragua…) que la théorie de la révolution permanente avait été « confirmée » et en quelque sorte « validée » par ces expériences. C’était une bien curieuse façon de s’y prendre qui mérite là aussi un petit détour et nous interroge : la théorie comme moyen d’étalonnage sur le degré de « socialisme » atteint par certain pays ?
Pour Trotsky elle était clairement autre chose : avant tout un guide pour l’action qui partait d’un constat, l’incapacité pour la bourgeoisie dans un certain nombre de pays (comme la Russie au début du XXème siècle) de mener à bien l’étape démocratique d’une révolution par crainte du prolétariat. Et donc la nécessité pour ce dernier non seulement de reprendre entièrement à son compte ce programme démocratique, mais de lier de manière indissoluble l’étape démocratique et l’étape socialiste de la révolution.
Or ce raisonnement n’avait évidemment de sens que dans un contexte précis, en partant d’une idée à priori partagée par tous : le prolétariat n’est pas seulement un fait sociologique mais aussi politique. De ce point de vue, l’existence de l’URSS - en tant qu’État stalinien à partir des années 1930 et surtout après 1945 - a évidemment profondément modifié la marge de manœuvre dont pouvait disposer la bourgeoisie (parfois très embryonnaire) dans les pays du Tiers-Monde où cette question se posait avec acuité : d’abord parce que le prolétariat ne représentait plus le même danger politique (écrasé par le fascisme, désarmé par le stalinisme) ; ensuite parce que l’URSS représentait un point d’appui à la fois politiquement conservateur mais également confrontée du fait de ses origines révolutionnaires à l’hostilité de l’impérialisme, ce qui l’amenait à soutenir nombre de pays voulant développer une économie nationale à l’abri des pressions immédiates de l’impérialisme, tout en ayant pris soin d’écarter tout danger révolutionnaire venant de la classe ouvrière.
Il n’y avait donc pas à s’étonner que des partis démocratiques bourgeois, révolutionnaires (dans le sens où l’entendaient Marx, Lénine, Trotsky… c’est-à-dire dans un sens très particulier) prennent la tête de révolutions allant jusqu’à la confrontation avec l’impérialisme, et même jusqu’à transformer profondément les bases économiques, sans jamais permettre au prolétariat d’exercer le pouvoir. Et surtout sans jamais avoir d’autres perspectives, sur le terrain du nationalisme, que de trouver au bout du compte une place au sein de l’impérialisme, et finalement se servir de l’État comme une sorte d’incubateur pour une bourgeoisie capitaliste autochtone en voie de développement. 
Un curieux destin pour ces prétendus « États ouvriers » ! Mais qui ne s’explique que si on a pris la pleine mesure de ce qui avait changé à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, au lieu de répéter les vieilles formules hors de leur contexte, au risque de ne plus rien y comprendre. Car s’il y avait une « validation » de la théorie à l’époque, et si elle a encore une utilité aujourd’hui, ce n’est que dans un sens bien précis : celui de défendre auprès de la classe ouvrière une politique indépendante, et non pour repeindre en rouge ce qui ne l’était pas, après avoir assisté impuissant à la victoire de partis certes radicaux dans leur combat pour l’indépendance de leurs pays, mais seulement dans la mesure où ils étaient capable d’encadrer et de museler leur prolétariat.

Un deuxième exemple mérite également un détour, car il pèse inévitablement sur nos débats actuels : c’est la place qu’ont prises ensuite –d’une manière somme toute assez logique – les théories « tiers-mondistes », une fois l’indépendance acquise, dans les années 1960-1970.
Ces théories (aujourd’hui critiquées à juste titre par Michel Husson) ont eu deux effets pervers : le campisme (au lieu et à la place d’une boussole de classe), et cette croyance qui a longtemps trainé au sein de l’extrême-gauche qu’à l’époque de l’impérialisme, les pays du Tiers-Monde ne pouvaient pas se développer et encore moins acquérir une réelle indépendance économique. Cela nous a particulièrement désarmés face à l’émergence de nouvelles puissances capitalistes, après avoir repris souvent de manière acritique des raisonnements en réalité bien éloignés de la théorie de Trotsky sur le « développement inégal et combiné » [7].
Certes la tentation est grande aujourd’hui de se contorsionner dans tous les sens pour essayer de faire oublier ce qui avait été défendu hier avec passion. Le fait est qu’au sein de l’extrême gauche, pendant très longtemps, l’essor des pays dits « émergents » était tout simplement inimaginable, encore dans les années 1980. Fait aggravant : l’avoir théorisé avec de très beaux arguments, du moins en apparence, au risque de ne plus savoir très bien aujourd’hui ce qu’il faut garder d’un « marxisme » ainsi malmené. Un retour critique sur nos schémas anciens s’impose donc plus que jamais, pour ne pas reproduire les mêmes errements.

Le « chaos géopolitique » et la longue liste des dangers graves et imminents

Cette mise en perspective de nos débats est d’autant plus nécessaire que la discussion semble avoir changé de logiciel depuis, mais pour aboutir à un résultat pour le moins paradoxal.
Le temps de l’optimisme semble en effet révolu, lorsque des camarades pouvaient à des degrés divers idéaliser toutes sortes de forces politiques révolutionnaires et certains Etats dits « progressistes ». Changement de période, la terreur islamique et son grand rouleau compresseur réactionnaire semblent s’imposer chaque jour davantage, en surdéterminant le positionnement que l’on devrait avoir face à un impérialisme lui-même affaibli, du moins si l’on en croit les contributions de Pierre Rousset et François Sabado.
Un changement de perspective donc, mais dont les conséquences pratiques au final ne sont guère différentes. Avec toujours cette idée qu’une politique indépendante pour le prolétariat serait sans doute le mieux, mais comme le mieux est parfois l’ennemi du bien et que le danger est pressant (face à l’islamisme aujourd’hui, à l’impérialisme hier…). Où l’on retrouve la vieille tentation du moindre mal dans des conditions pourtant à priori très différentes.

Je partage cela étant avec Pierre Rousset un certain nombre de préoccupations et d’interrogations exprimées dans son dernier texte « Après Charlie et l’Hyper Cacher » [8]. Notamment en ce qui concerne la sous-estimation au sein d’une partie de l’extrême gauche du danger que représentent les forces islamistes, tout comme leur degré d’autonomie politique, au point de sous-estimer gravement le fait qu’on a affaire à de vrais « acteurs », et non à de simples « vecteurs » qui seraient simplement l’expression de la crise et de la décomposition sociale. Mais je suis radicalement en désaccord avec les conclusions politiques telles qu’elles ont été formulées dans le numéro d’octobre-décembre 2014 de la revue Inprecor.
La divergence est de taille. Pierre Rousset part d’un constat en réalité un peu biaisé : celui d’un déséquilibre entre un impérialisme états-unien que l’on suppose très affaibli (dans un monde de plus en plus chaotique où les possibilités de régulation notamment sur le plan économique s’avèrent toujours plus vaines), et l’affirmation brutale d’un danger immédiat : les « nouveaux fascismes » (en particulier « l’affirmation de courants fascistes aux références religieuses »). Le lien est explicite : « L’une des premières conséquences de la phénoménale puissance déstabilisatrice de la mondialisation capitaliste est la montée toute aussi spectaculaire de nouveaux fascismes à base (potentiellement) de masse », tout en soulignant que « ces mouvement ne sont pas organiquement liés au grand capital ». Il s’agit donc avant tout d’une « terreur de type fasciste ».
Ce qui débouche sur deux considérants politiques : une polémique assez artificielle en réalité sur le « campisme » (dans la mesure où elle fait l’impasse sur les errements passés d’une partie du mouvement trotskyste) ; et une argumentation destinée surtout à justifier une forme de renoncement face à son propre impérialisme, à l’occasion des bombardements en Irak par les États-Unis ces derniers mois, sous prétexte que « dénoncer son propre impérialisme ne suffit pas ».
Cela ne suffit peut-être pas, mais ça ne justifie en aucun cas l’idée que « de ce point de vue, on peut être contre l’intervention impérialiste et pour la fourniture d’armes de haute puissance par nos gouvernements aux forces kurdes ». Car cela pose évidemment un petit problème : la stratégie actuelle de l’impérialisme consiste précisément à se servir des forces kurdes (y compris le PKK et ses alliés) comme supplétifs de son intervention. La condamnation de l’impérialisme devient dans ce cas sinon purement formelle, du moins complètement inconséquente.

L’argumentation de François Sabado éclaire un peu plus précisément ce parti pris où l’impérialisme serait devenu presque un enjeu secondaire face à la montée de la « barbarie », en postulant lui aussi une forme implicite de déséquilibre entre « l’émergence de la barbarie incarnée par Daech » (« l’ennemi des peuples… aujourd’hui c’est avant tout Daech »), et une intervention impérialiste qui serait sans objectif bien déterminé, ni plan préétabli (« … les objectifs de guerre ne sont pas maîtrisés. Ils sont intervenus dans l’urgence »). D’un côté un monde qui nous échappe (à l’impérialisme comme à nous-même… c’est bien « la guerre et le chaos »), et de l’autre la nécessité de « sauver des vies humaines » qui devraient balayer toutes les préventions.
Les enjeux humanitaires ne laissent guère le choix selon François Sabado : « Notre critère, c’est la sauvegarde de vies humaines et la défense des droits des peuples ». Et dans ce cas « aucune hésitation » pour soutenir « une demande des secteurs progressistes syriens ou kurdes envers nos gouvernements » en armes mais aussi en bombardements. Trotsky à l’appui (« Apprendre à penser – conseil amical à l’adresse de certains ultra-gauches » mai 1938), la conclusion est assez radicale : «… dans les rapports de force actuels et face à la barbarie, il peut y avoir « dix cas sur cent » où il peut y avoir « le même signe » entre le mouvement ouvrier, le mouvement de solidarité et nos gouvernants ».

Nous pourrions évidemment donner nous aussi un conseil amical, comme par exemple celui de relire Trotsky [9]. Ce serait en même temps probablement assez vain : même au NPA, il ne manque pas de prétendus spécialistes du Talmud répétant à satiété des formules, au lieu de réfléchir à ce qui fait la spécificité de chaque situation politique, ce qui limite par avance l’intérêt de ce genre d’exégèse. Par contre la rupture au niveau des conclusions politiques est assez nette et éclairante : ce qui est en jeu n’est pas seulement la compréhension des évolutions possibles de l’impérialisme, mais bien plus fondamentalement un raisonnement où la « démocratie » face à la « barbarie » deviendrait un référent central. Une « démocratie » en réalité un peu suspendue en l’air, comme si le caractère impérialiste des grandes puissances n’était pas aussi décisif que par le passé, puisque nous aurions basculé dans un monde où les rapports impérialistes seraient en train d’être submergés par le « chaos ».

La « guerre sans limites », au risque de quelques raccourcis

Les contributions d’Yvan Lemaître suscitent quant à elles d’autres questionnements. J’ai naturellement un large accord avec une orientation qui met en avant la nécessité de définir une politique indépendante pour le prolétariat : ni soutien à l’ONU et sa prétendue « communauté internationale », ni « campisme », mais « recherche constante d’une politique indépendante pour la classe ouvrière combinée à la lutte contre notre propre impérialisme ». Une indépendance valable sous toutes les latitudes, en refusant notamment de confondre la solidarité internationale avec les peuples, et le soutien aux dirigeants qu’ils se sont donnés : « notre solidarité est une solidarité de classe qui dénonce toutes les formes de domination des travailleurs et des peuples ».
Mais si cette préoccupation est juste et fondamentale, il me semble que l’argumentation pose par contre plusieurs problèmes, en particulier autour de la fin supposée de l’hégémonie américaine, le lien que l’on peut faire entre crise et guerre mondialisées, et les quelques conclusions que l’on peut en tirer sur le réformisme et l’actualité de la révolution. Il me semble qu’il y a des raccourcis qui peinent à être réellement convaincant et n’aident pas à s’orienter dans une situation qui est pour le moins très compliquée, non réductible en tout cas à des formules parfois toutes faites sur la guerre et la révolution, le socialisme ou la barbarie.

Un mot d’abord sur la chronologie. On ne pourra évidemment qu’être d’accord avec l’idée que l’impérialisme aujourd’hui est bien différent de celui du début du XX° siècle. Mais la chronologie proposée par Yvan est bien différente de celle de Claudio Katz en particulier, et elle ne me convainc pas.
Pour Yvan en effet, la véritable césure n’aurait pas été 1945 mais les années 1970 : après « une guerre mondiale de trente ans suivie d’une guerre de 20 ans contre le soulèvement des peuples coloniaux », cette première phase se serait conclue par « l’entrée en crise chronique de la domination des bourgeoisies impérialistes ». Une crise qui aurait pris « une acuité plus grande avec le « grand basculement » du monde que nous venons de connaître avec la crise globale de 2008-2009 ».
En mêlant (au risque de la confusion) rivalités inter-impérialiste et guerres menées par l’impérialisme pour asseoir sa domination dans le monde, tout en expliquant qu’on se trouverait à un nouveau stade de développement du capitalisme « où se combinent les vieux rapports impérialistes avec les nouveaux rapports du libéralisme mondialisé », Yvan glisse rapidement sur un détail qui n’en est pas un et sur lequel nous reviendrons plus loin : c’est le fait que ces « vieux rapports impérialistes » ont eux-mêmes changé de nature depuis longtemps ! Et pour tout dire depuis la Deuxième Guerre mondiale, avec l’affirmation de l’hégémonie américaine et la mise en sourdine, bien avant la fin du processus de décolonisation, des rivalités entre impérialismes. Ce qui n’est pas un mince détail lorsqu’on veut mettre en perspective l’étape suivante.
Quant à la « crise chronique de la domination des bourgeoisies impérialistes », elle est en partie confondue avec une discussion sur la fin de l’hégémonie américaine source d’instabilité nouvelle, l’autre aspect étant la nature et l’approfondissement de la crise économique actuelle. Deux raisonnements qui mériteraient là aussi une discussion plus approfondie.
Le premier s’appuie sur l’idée d’un déclin inéluctable de la puissance américaine face à un nouveau rival : la Chine. Ce qui laisse pourtant en suspens bien des interrogations, aussi bien sur l’ampleur et la profondeur de ce déclin, que sur les modalités d’insertion de la Chine dans le cadre de la mondialisation capitaliste. Est-on bien sûr en particulier que l’enjeu pour la Chine, même à moyen ou long terme, serait de s’opposer frontalement à l’hégémonie américaine ? L’argument en tout cas qui consiste à faire le lien mécaniquement entre contradictions internes et lutte pour l’hégémonie me semble un peu court. Au risque de plaquer des raisonnements de la fin du XIX° siècle sur une période pourtant bien différente [10].

L’autre raisonnement procède de la nécessité d’avoir une analyse globale de l’impérialisme qui ne soit pas déconnectée de la lutte de classe, comme le proposait Lénine en son temps, dans un autre contexte.
La préoccupation de vouloir « saisir les évolutions dans leur globalité en les inscrivant dans un débat stratégique », afin de « tenter de dégager une unité des divers mécanismes à l’œuvre pour refonder le programme socialiste et la stratégie révolutionnaire » est évidemment légitime. Et c’est bien entendu dans ce sens-là qu’il faudrait chercher. Mais cette préoccupation peut être aussi rapidement source de raccourcis lorsqu’on a déjà les réponses presque par avance, en oubliant au passage quelques difficultés.
Déjà parce que dans le passé, il faut se souvenir qu’il n’y a jamais eu de théorie unifiée de l’impérialisme parmi les marxistes révolutionnaires (sans parler de Kautsky et de quelques autres…). Tout le monde se souvient du petit livre de Lénine publié en 1916 qui s’appuyait sur une étude de Hilferding, elle-même extrêmement partielle parce que fondée pour l’essentiel sur le développement particulier du capitalisme allemand. Or si Lénine a sans doute très bien fait le lien entre cette nouvelle étape dans le développement du capitalisme et la guerre, Rosa Luxemburg aussi, à partir de prémisses complètement différents ! Sans parler des développements de Boukharine. Cela devrait nous inciter à une certaine prudence.
De son côté Yvan affirme que « l’hypothèse d’une mondialisation de la guerre » pourrait être à nouveau à l’ordre du jour. Elle serait liée selon lui aux « limites atteintes par l’accumulation élargie financière fondée sur la croissance exponentielle du crédit et de la dette aboutissant au développement de « l’accumulation par dépossession » selon la formule de Harvey ». Une impasse qui déboucherait « sur une lutte de plus en plus acharnée pour la maîtrise des territoires (…) une forme de repartage du monde mais dans des rapports de force radicalement différents de ceux de la fin du XIX° et du début du XX° ». Alors même que les travaux de Harvey insistent plutôt sur une certaine relativisation des conflits territoriaux dans l’impérialisme contemporain...
Malheureusement si les formules sont séduisantes, renforcées par l’habitude prise depuis Lénine de manier ce genre de raisonnement parfois à la serpe, je ne suis pas sûr que la démonstration - qui reste à faire - soit si évidente. La formule est tentante : « L’exacerbation des tensions internationales est aussi certaines que l’accentuation de la crise globale du capitalisme ». Et la logique peut paraître aussi imparable que celle qui s’était déjà exprimée dans la contribution de la Pf2 pour le congrès du NPA : « … les tensions internationales s’exacerbent ainsi que le mécontentement populaire (…) Nous entrons dans une ère de guerres et de révolutions ». Malheureusement les raccourcis et les formules sonores ne font pas une démonstration. Surtout lorsqu’on sait que cela fait quand même près d’un siècle que les marxistes répètent après Lénine « que nous sommes entrés dans l’ère des guerres et des révolutions »… ce qui ne nous aide pas plus que cela, il faut bien l’avouer.

Le problème que pose la contribution d’Yvan mérite qu’on s’y attarde encore un peu. Au départ, nous sommes évidemment en accord avec un raisonnement fondamental hérité de Marx et que reprend Yvan pour l’époque actuelle : « la contradiction entre l’instabilité engendrée par la concurrence globalisée et la nécessité d’assurer un cadre commun de fonctionnement du capitalisme permettant d’assurer la production et les échanges ». Mais tout devient plus compliqué et inévitablement un peu faux si on se trompe sur la nature des relations entre les impérialismes qui n’ont plus rien à voir avec l’époque de Lénine bien avant les années 1980 et le triomphe du libéralisme. Et si on se trompe également sur la mise en perspective des difficultés et des échecs actuels de l’impérialisme américain pour conclure un peu trop rapidement au « chaos permanent » (avec il est vrai des conclusions assez différentes de celle émise par Pierre Rousset et François Sabado). On manque alors les différentes tentatives de réorganisation à l’œuvre, et leurs différentes étapes, pour conclure bien trop hâtivement à des « basculements ». C’est tentant, et cela débouche presque automatiquement sur des formules sonores, sans doutes agréables à entendre pour les révolutionnaires que nous sommes, mais qui ne nous permettent pas de nous orienter.
Il en va de même avec certaines formules pour le moins simplificatrices, en particulier sur les « marges de manœuvre du réformisme » qui auraient fondu dans la période actuelle, en lien avec l’évolution plus globale de la crise capitaliste. Au risque de glisser vers une confusion entre réformisme et partis réformistes, en sous-estimant peut-être les marges de manœuvre de ces derniers sans avoir besoin pour cela de mettre en œuvre des politiques qui remettent même partiellement en cause les politiques libérales qui ont triomphé un peu partout (on en a eu un bel exemple avec le Brésil de Lula), en ignorant d’autres phénomènes à l’œuvre comme l’émergence des classes moyennes dont l’impact politique est déjà extrêmement sensible dans bien des pays du Sud. C’est-à-dire quantité d’obstacles et de difficultés qui exigent un réarmement politique beaucoup plus précis, et une délimitation bien plus nette et plus travaillée face au réformisme.

Pour commencer à déblayer le terrain sur quelques points de convergence

Deux changements majeurs semblent avoir affecté l’impérialisme contemporain : le premier insiste sur l’instabilité plus grande que par le passé du monde capitaliste en lien avec l’affaiblissement de l’hégémonie US et les derniers développements de la crise économique ; et le second souligne que le rapport entre la logique de réseau des FTN (les firmes transnationales) et la logique territoriale des États s’est probablement beaucoup modifié depuis les grandes réformes libérales des années 1980. Mais une fois que l’on a rappelé ces généralités, c’est le détail évidemment qu’il importe de maîtriser.

Il me semble que dans ce débat, quelques convergences entre plusieurs auteurs peuvent être soulignées. Je partage pour beaucoup l’essentiel des conclusions de Claudio Katz dont l’ouvrage déjà cité vient d’être traduit en français. Je pense en particulier à l’ensemble des thèses résumées dans le dernier chapitre « Idéologie, Etat et classes », même si je ne partage pas non plus nécessairement toutes les analyses et tous les éléments d’argumentation. Je pense en particulier que le reproche fait à Lénine sur la question des « monopoles » est assez décalée, et que le concept d’ « empire du capital » va paradoxalement un peu au-delà du contenu somme toute plus équilibré de l’ouvrage puisque c’est l’auteur lui-même qui rappelle à juste titre que l’intégration du capital « se réalise à travers les anciens États et non sur une base multinationale, le capitalisme reste rongé par plusieurs tensions géopolitiques ».
Dans le détail, quelques points forts méritent cependant d’être soulignés. D’abord la nécessité de rompre avec les conceptions « classiques » (d’un point de vue marxiste) de l’impérialisme qui correspondent à une période révolue depuis longtemps : « une étape où les réseaux multinationaux étaient inexistants et où prédominaient les conflits territoriaux » à l’époque coloniale. Une grande prudence également sur tous les raisonnements qui cherchent un peu trop systématiquement une cohérence entre les modalités de l’accumulation du capital et les reconfigurations de l’impérialisme. En soulignant notamment l’extrême diversité des théories au début du XX° siècle qui couvraient « un large spectre de problème sans offrir de claire solution », ce qui devrait nous inciter à beaucoup de prudence et de modestie si l’on veut embrasser l’ensemble du processus actuel, au-delà de certaines formulations du type « libéralisme impérialiste » déjà évoquées plus haut.
Fondamentale me semble être également l’insistance sur la césure que représente le nouvel ordre mondial institué par les États-Unis après 1945, selon des modalités radicalement différentes de la période précédente, la « principale fonction de l’arsenal états-unien » étant désormais de « garantir la reproduction capitaliste sur toute la planète. Il a une fonction de protection qui reçoit l’aval de toutes les classes dominantes ». Avec son corollaire : une mise en garde qui me semble être assez juste envers la tentation de vouloir absolument trouver un remplaçant aux États-Unis à l’heure actuelle : « la tendance à analyser toute tension entre puissances comme un conflit interimpérialiste avéré est une erreur de raisonnement liée en grande partie à la fidélité au référentiel de l’impérialisme classique ». Tout en soulignant à propos de l’élite chinoise, sa « disposition à s’associer davantage et à coexister avec les Etats-Unis et l’Europe » plutôt qu’à rechercher un affrontement dans l’objectif hypothétique d’un nouveau partage du monde, qui correspond sans davantage aux modalités d’insertion dans la mondialisation de la première moitié du XX° siècle.

A cette étape il est important de souligner certaines convergences avec d’autres auteurs. En partant d’abord de la définition générale et en même temps très ramassée que propose Alex Callinicos : « … l’impérialisme est le moment où la concurrence économique entre les capitaux et les rivalités géopolitiques entre les États s’entrecroisent pour former comme David Harvey l’a souligné à juste titre une unité contradictoire et instable ».
Cette instabilité et cette contradiction se sont caractérisées à la fin du XIX° et au début du XX° siècle par la formation de blocs rivaux autour des empires coloniaux, dans une logique de partage territorial du monde. Il n’en est plus de même aujourd’hui, comme le souligne Alex Callinicos, en insistant sur deux aspects majeures : la capacité depuis 1945 pour Washington à « institutionnaliser la coopération entre les États capitalistes avancés sous sa direction », qui ne s’est toujours pas démentie ; et un mode de domination « non-territoriale » qui s’est avéré « plus rentable » sur le long terme, mais nécessite en même temps une « projection de la puissance militaire sur une très grande échelle » que seules les États-Unis même aujourd’hui peuvent se permettre [11].
Ces deux aspects (des réseaux plutôt que des territoires, un cadre de fonctionnement commun favorisant le jeu des FTN selon leur logique propre) restent le cadre dans lequel la Chine est en train de s’insérer pour le plus grand profit de sa classe dominante. Cela « rend probablement impossible un raisonnement en terme de successions de puissances dominantes, comme si l’hégémonie de la Chine devait mécaniquement prendre le relais de celui des États-Unis » comme le souligne de son côté Michel Husson. Tout en soulignant les tensions auxquelles reste soumis le monde capitaliste : avec d’un côté ce qu’il appelle une « économie mondiale intégrée », et des firmes transnationales qui sont devenues (depuis les réformes libérales des années 1980) encore plus nettement « l’agent de cette intégration dont la géographie coïncide de moins en moins avec celles des États » ; et de l’autre la persistance et le maintien des États nationaux, les FTN conservant pour la plupart un enracinement national qui exclue pour l’instant l’idée d’un monde sans rivalités entre puissances impérialistes (le mythe du « super-impérialisme »de Kautsky, celui de « l’empire » développé il y a quelques années par Toni Négri et Michael Hardt, ou plus prosaïquement celui que l’on trouve chez de nombreux auteurs libéraux d’un « gouvernement mondial » en voie de formation autour des principales instances internationales).
Le capitalisme contemporain reste bien « un système qui échappe par nature à toute véritable régulation et qui fonctionne de manière chaotique, ballotté entre une concurrence exacerbée et la nécessité de reproduire un cadre de fonctionnement commun » (Michel Husson). Une reproduction un peu compliquée certes, mais qui n’autorise pas non plus à conclure qu’il aurait laissé la place au « chaos », c’est-à-dire à l’absence d’un ordre contraignant et hiérarchisé dans lequel les grandes puissances capitalistes continueraient à jouer un rôle décisif.

Garder le cap d’une politique indépendante pour le prolétariat, malgré tout

Pourtant c’est bien l’apparence d’un désordre croissant qui semble s’imposer. Il nous faut donc nous interroger sur la persistance de nombreux conflits, et surtout leurs implications dans la vie politique de chaque pays. Tout en nous gardant peut-être de quelques fausses évidences, faussement rassurantes sur la prétendue « crise de domination de la bourgeoisie » que l’on commence à entendre ici et là dans les débats du NPA, et les responsabilités nouvelles qui incomberaient aux révolutionnaires.

La première évidence qui ne l’est peut-être pas tant que cela justement concerne l’hypothèse d’une multiplication des conflits - souvent rapidement transformée en certitude. C’est d’autant plus étonnant qu’il y a quand même quelques études qui semblent démontrer le contraire [12]. On peut certes les critiquer, mais non les ignorer. On peut bien sûr observer le fait que l’armée française n’a jamais cessé d’être sur un terrain d’opération chaque année depuis la fin de la guerre froide, tout en participant à ce jour à trois guerres au Mali, en Centrafrique, et en Irak… Une observation qui pourrait sans doute accréditer l’idée que les puissances impérialistes sous hégémonie américaine auraient plus de mal à imposer leur domination sur le monde. Mais c’est peut-être passer à côté des vrais problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Un des arguments souvent utilisé rejoint l’hypothèse formulée par David Harvey dans son ouvrage déjà cité sur « le nouvel impérialisme » : la « prédation » comme solution à la crise de suraccumulation du capital. Mais même ce raisonnement n’implique pas nécessairement un retour en force des logiques territoriales et des affrontements géopolitiques de grande ampleur. La protection de quelques points clé peuvent suffire sans déboucher sur des conflits généralisés auquel jusqu’à nouvel ordre personne n’a intérêt. Et même lorsqu’une région comme le Moyen-Orient peut-paraître représenter un enjeu considérable à cause des réserves pétrolières, la situation est beaucoup plus mouvante que par le passé : le faible engagement des États-Unis à l’heure actuelle ne prouve pas forcément de manière indubitable leur affaiblissement mais aussi leur moindre intérêt du fait de l’exploitation nouvelle des réserves de gaz et pétrole de schiste. Même si dans le même temps, tout peut changer très vite, comme on le voit en ce moment avec la guerre des prix que mène l’Arabie Saoudite (également dirigée contre l’Iran).
Qui peut prévoir dans ces conditions comment se déclineront les rapports de force dans quelques années ? Et comment prétendre théoriser à partir de ces impressions ? Ce qui caractérise l’impérialisme aujourd’hui est justement une fluidité des situations beaucoup plus grande que par le passé, dont le corollaire est une variation très importante dans le choix des stratégies possibles.

L’autre aspect, ce sont les nouvelles modalités de la guerre, obéissant à des contraintes mais également à des opportunités nouvelles (notamment sur le plan technologique), sans que l’on puisse plaquer immédiatement un raisonnement général concernant la fin de l’hégémonie américaine et l’affaiblissement supposé de l’impérialisme.
L’existence de guerres qui semblent illimitées dans l’espace n’est pas en soi un phénomène nouveau : depuis longtemps les frontières du capital se sont élargies au monde entier, et depuis longtemps les principales puissances impérialistes ont élargi la notion de « frontière » à l’échelle du monde. Pour les États-Unis en particulier, il s’agit bien d’assurer à côté de la défense de leurs intérêts particuliers, celle de l’intérêt général en vue de reproduire les conditions d’ensemble de l’exploitation capitaliste mondialisée. Ce qui suppose une capacité de projection que seul ce pays a réellement, tout en accélérant la professionnalisation des armées un peu partout, non sans quelques incidences politiques.
Mais le fait original qui semble s’affirmer désormais est le caractère presque illimité dans le temps des nouvelles guerres contre le « terrorisme ». Car ce qui domine, ce ne sont plus les grandes opérations type guerre du golfe en 1991 ou en 2003. Mais des opérations de basse intensité comme au Yémen, c’est-à-dire des opérations d’élimination ciblées à coup de drones pilotés depuis leur base aux États-Unis. Ou des appuis aériens sans solution politique viable à court ou moyen terme comme actuellement en Irak. Ou des opérations de maintien de l’ordre face à des « États défaillants » comme en Somalie, pour une durée là encore indéterminée. Tandis que les stratagèmes évoluent eux aussi rapidement, comme ces « cyber-attaques » soigneusement espacées dans le temps, qui agissent comme des sortes de tests et de coups de semonces à la fois.

Cela a des conséquences politiques importantes. Nous sommes dans un état de guerre permanente, mais c’est très peu ressenti comme tel par la population, sauf sous l’angle très particulier et très policier, d’une prévention contre « le terrorisme » qui mène sa guerre « ici aussi » – avec des conséquences considérables sur le plan intérieur du point de vue du respect des règles démocratiques. Mais pour le reste, c’est l’affaire de professionnels à l’autre bout du monde, sans aucune incidence sur la vie quotidienne, censés mener des guerres pour « sauver des vies ».
Cette dilution dans le temps et dans l’espace rend difficile une lutte coordonnée contre la guerre et contre l’impérialisme fauteur de guerre, avec des objectifs précis. On n’en est plus au temps des luttes contre l’impérialisme tel qu’on la concevait à l’époque des guerres coloniales ou de la guerre du Vietnam sur des objectifs mobilisateurs comme le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». On est face à des guerres où le camp de l’impérialisme apparait massivement aux yeux de sa propre population comme étant celui du progrès qui tente de faire quelque chose pour les gens, quels que soient les arrière-pensées et les intérêts en jeu, parce que l’urgence humanitaire prime sur tout.
Dans ce contexte, l’enjeu n’est certainement pas de croire que l’impérialisme et ses guerres sont porteurs de révolution en plaquant quelques schémas hérités du temps de Lénine. Ce ne sont encore une fois ni les mêmes guerres ni le même impérialisme. Ce qui caractérise la période, c’est bien plutôt le retour en force des « guerres légitimes », prétendument « justes » et peu couteuses (pour les gens d’ici !). Une vraie difficulté qui exige, en tout cas à cette étape, un long détricotage idéologique, sans doute bien moins flamboyant mais bien plus utiles que les traditionnelles mobilisations contre la guerre (qui ne marchent absolument plus, mais sans nous interroger sur notre propre responsabilité). Un travail d’autant plus indispensable que nous sommes en retard, en nous contentant souvent d’une argumentation bien peu soignée, et pour tout dire bien peu convaincante au-delà du petit monde des sympathisants de l’extrême-gauche.

Cela devrait aussi nous encourage, au moins à cette étape, à clarifier davantage notre position en essayant d’éviter les pièges qui sont devant nous, qu’ils prennent la forme d’un certain alignement sur le discours dominant, ou au contraire oublient une partie des problèmes, par peur d’être confondus avec le même discours dominant !
Le premier piège a été illustré par la discussion qu’il y a eu autour des « armes pour Kobané ». C’est-à-dire un alignement au bout du compte sur l’un des aspects de la politique de l’impérialisme, sans que cela ait permis de sauver une vie de plus parmi les Kurdes, tout en contribuant à brouiller un peu plus les repères, au risque de paraître nous aligner nous-mêmes sur le discours prétendument humanitaire de notre propre bourgeoisie, au nom du moindre mal.
Le deuxième, c’est la focalisation sur la lutte « contre l’islamophobie » au lendemain des attentats du mois de janvier à Paris. Parce que la vraie difficulté sur le plan politique n’est pas de dénoncer la montée des actes islamophobes ni de les combattre (ce qu’il faut faire, bien évidemment). La vraie difficulté au niveau de la réponse politique, ce sont les millions de gens au sein de notre classe qui condamnent ces actes, refusent tous les amalgames, mais ne voient pas comment ni pourquoi on devrait empêcher l’État de prendre des mesures d’exception pour nous protéger. Dénoncer le « racisme d’État » est sans doute plus facile et plus mobilisateur dans les milieux proches de l’extrême-gauche, mais c’est aussi une manière de contourner cette autre difficulté, qui est la force grandissante d’un discours visant à relégitimer les politiques sécuritaires de l’État à une échelle bien plus large, jusque dans l’école elle-même désormais mobilisée au premier rang. Un tout autre enjeu, et surtout une toute autre difficulté pour mener une politique réellement indépendante, à la fois crédible et dégagée de l’emprise de l’idéologie de la classe dominante.
Ce qui exigerait sans doute un peu plus d’élaboration dans notre intervention, aussi bien face à l’État et à notre propre impérialisme, que face à l’ensemble des forces réactionnaires qui traversent aujourd’hui le prolétariat dans un pays comme la France, qu’elles penchent du côté du FN ou de l’islamisme politique, en assumant clairement l’ensemble de ces combats, et non certains au détriment d’autres [13].

« Nouveau réformisme » et construction d’un parti révolutionnaire

Les marges du réformisme sont-elles en train d’être réduites à presque rien du fait de la crise et des contraintes imposées par « l’impérialisme libéral » (Yvan Lemaître) ? Redisons ici que c’est peut-être mal poser le problème, car cela peut procéder d’une certaine illusion et confusion avec ce que peuvent faire des partis se présentant comme réformistes, même à notre époque (sans confondre non plus il est vrai les marges dont disposait Lula au Brésil dans les années 2000 et celles dont dispose aujourd’hui Tsipras en Grèce).
Faut-il au contraire se réjouir en tout cas différemment, en propageant le mythe d’un « nouveau réformisme » qui serait prêt à la confrontation ? Et y voir un point de départ, un possible tremplin vers une « formation anticapitaliste large » dont la construction serait désormais « à l’ordre du jour » (François Sabado : « La fin d’une époque ») ? Je ne le crois pas davantage. D’ailleurs les faits sont déjà en train de le démentir.
Il nous faut au contraire affronter sans détour les difficultés qui sont devant nous, sans essayer de les minimiser, d’une manière ou d’une autre.

Ce qui veut dire au passage ne pas ignorer non plus un certain nombre d’arguments avancés par François Sabado dans sa dernière contribution, sous prétexte qu’on n’en partage pas les conclusions politiques.
J’entends, bien entendu, les objections qui ont déjà été avancées face à une thèse manifestement un peu trop unilatérale et réductrice sur les « reculs » du mouvement ouvrier. Elle demande, c’est évident, à être nuancée, en n’oubliant pas que les reculs majeurs ne datent pas de 1991 et de la fin de l’URSS, mais de bien avant [14]. En prenant en compte également les déconnexions qui peuvent exister même à l’époque de la mondialisation actuelle entre les différents pays, qui font qu’on n’apprécie pas tout à fait de la même manière ces reculs aujourd’hui en Argentine et en France.
Mais il y a bien globalement une étape nouvelle qui est en train de se dessiner devant nous, et la nécessité de faire du neuf. Parce qu’à l’échelle mondiale, on est passé d’une problématique autour de la lutte pour la direction (Trotsky en 1938 : « la crise de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire ») à une situation ou même après 1945 le problème se posait déjà différemment avec des partis staliniens profondément insérés dans les logique nationales et institutionnelles, en plus des partis sociaux-démocrates. Ce qui laissait peut-être encore entrevoir une possible réorganisation du mouvement ouvrier mais avec des milieux militants aux références révolutionnaires déjà bien abstraites et profondément déformées.
Aujourd’hui les enjeux autour de la construction d’un parti révolutionnaire s’inscrivent dans un cadre encore différent qui est la décomposition accélérée du mouvement ouvrier, sa perte de substance au point de cesser pratiquement d’exister (ou de s’ossifier en devenant de plus en plus étranger à la classe ouvrière elle-même). C’est un fait absolument incontournable. Le problème concerne plutôt la suite : par où commencer dans ces conditions, avec quels points d’appui ?

Il me semble qu’il y à la fois une erreur de raisonnement et d’appréciation. Sur Syriza, l’intervention de François Sabado au congrès du NPA (en complément de ses écrits) a été des plus éclairantes : on aurait affaire parait-il à une nouvelle configuration du mouvement ouvrier et de la gauche, un réformisme différent des autres, offrant au niveau du gouvernement une traduction politique aux luttes. Un « gouvernement anti-austérité » ayant en quelque sorte « deux âmes », susceptible de se radicaliser face aux refus de la Troïka pour aller vers une rupture anticapitaliste.
On voit pourtant ce qu’il en est aujourd’hui, au bout de quelques semaines seulement.
Mais l’aspect le plus significatif est sans doute le débat qui concerne Podemos. Car on a affaire à un mouvement apparemment bien différent des partis traditionnels, où l’aspect basiste et mouvementiste pourrait sembler bien plus déterminant. Or ce qu’on a pu y observer, déjà à cette étape, c’est la transformation de cette organisation par en haut, en moins d’un an, sous l’impulsion d’Iglesias. A tel point que ce parti, si neuf en apparence, concentre déjà toutes les tares du vieux mouvement ouvrier.
Le processus est certes différent : pour accumuler autant de pouvoir et aussi vite entre les mains d’une direction, le contrôle des médias et des réseaux sociaux a joué un rôle capital. C’est un processus bien différents de la lente intégration du mouvement ouvrier au sein de l’Etat qui a conduit à sa bureaucratisation au cours du XX° siècle. Mais le résultat au bout du compte est le même, parce que l’objectif final est aussi le même : l’intégration dans les institutions et la « révolution par les urnes ». D’où la faiblesse extrême de la critique émise aussi bien par François Sabado que par les camarades de l’État espagnol, qui ont discuté presque exclusivement sur le « fonctionnement » en évitant tout affrontement direct, perceptible à l’échelle de masse, sur le programme et la stratégie. C’est-à-dire en refusant la confrontation avec une politique réformiste, pourtant indispensable dès cette étape.

Cela rejoint en réalité un problème plus général, que traduisait à sa façon la formule fétiche souvent répétée par Daniel Bensaïd : l’hypothèse que pour arriver à reconstruire le mouvement ouvrier - même sur des bases révolutionnaires - on devrait « recommencer par le milieu ». En partant de l’idée qu’il faut savoir faire la part des choses du point de vue des acquis stratégiques, car il y a une partie des expériences fondatrices que la classe ouvrière doit refaire elle-même, si on veut que ces acquis le deviennent réellement.
C’est sans doute l’exemple même de la fausse bonne idée. D’abord parce qu’à notre échelle, au point où on en est, il n’est guère réaliste d’imaginer que l’on va reconstruire le « mouvement ouvrier » en tant que tel. Un parti, c’est peut-être déjà suffisant. D’autant que ce projet n’est pas forcément subordonné à un projet plus global de reconstruction de l’ensemble des organisations dans toutes leurs diversités, telles qu’elles ont vu le jour au cours d’une histoire qui ne se répétera pas. C’est un raisonnement à priori trop mécaniste.
Il est vrai aussi qu’en théorie, il serait tentant de se dire qu’on ne construit pas d’en haut une conscience révolutionnaire communiste au sein de la classe ouvrière. C’est sans doute vrai, et c’est un antidote indispensable face à toutes les tentations de sectarisme et de dogmatisme. Mais une fois qu’on a dit ça, les problèmes de la politique pratique, ici et maintenant, restent entiers. Parce qu’on voit bien à l’expérience, encore plus dans la période actuelle, que ce qui nous séparer des organisations du type Front de Gauche (et les directions syndicales qui sont plus ou moins dans cette mouvance) n’attend pas le moment de la révolution pour se manifester. Face à l’inertie délibérée de ce qui reste du mouvement ouvrier, va-t-on attendre qu’il veuille bien se recomposer pour agir ?
C’est une forme d’incantation dont on voit le résultat depuis des années et qui tourne en rond depuis un moment déjà. Nous sommes condamnés à saisir les occasions à partir de forces réduites. Mais au moins, ne gâchons pas ces possibilités en entretenant jusque dans nos propres rangs des confusions qui sont mortifères. La prétention à construire un parti anticapitaliste large à la gauche du PS – sur le seul critère de l’indépendance face au PS, sans approfondir davantage les questions stratégiques – a été payée suffisamment cher pour qu’on en tire aujourd’hui les bilans indispensables.

Ainsi qu’on le veuille ou non, la réalité des rapports de forces à l’étape actuelle n’est guère réjouissante, mais elle ne ressemble pas non plus à une impasse. Des possibilités existent. Ce n’est pas le sujet de cette contribution « critique » d’en discuter davantage, mais plutôt de rappeler qu’elles ne viendront pas plus vite parce qu’on aura théorisé quelques formules rassurantes sur l’impérialisme fauteur de guerres et de révolutions, ou sur les marges du réformisme en voie d’extinction. Ou à l’inverse, en idéalisant de prétendues nouveautés qui ressemblent furieusement à l’ancien.
Le réformisme reste un obstacle majeur face auquel un parti comme le NPA n’est pas suffisamment armé, alors même que les contradictions du capitalisme restent gigantesques. Les explosions sociales continuent à se manifester ici et là, sans déboucher pour le moment sur la possibilité d’avancer significativement vers la construction d’un parti révolutionnaire, non seulement en France mais également à l’échelle internationale. Pourtant, c’est bien une politique révolutionnaire - en reprenant sans doute le « meilleur » des traditions révolutionnaires, mais pas les autres, et à partir d’une politique opiniâtre d’implantation au sein d’un prolétariat toujours plus mondialisé – que l’on pourra peut-être entrevoir une possible sortie de crise.

Jean-François Cabral

------
[1] Ainsi que « Remarques et débats sur la guerre et le chaos », Inprecor (octobre-décembre 2014).
[2] Ainsi que « L’impérialisme libéral, contribution à l’impérialisme aujourd’hui » (22 janvier 2015).
[3] Michel Husson : « Notes sur l’impérialisme contemporain ». Nouveaux cahiers du socialisme n°13 (2015)
[4] David Harvey : Le nouvel impérialisme. Les prairies ordinaires (2010)
[5] Claudio Katz : Sous l’empire du capital, l’impérialisme aujourd’hui. M éditeur (août 2014).
[6] Sur la révolution permanente, quelques ouvrages de Trotsky : Bilan et perspectives (1906) ; La révolution permanente (1928) ; L’Internationale communiste après Lénine (1929) ; « Trois conceptions de la révolution russe » (in Staline - 1940)… Ainsi que les « thèses sur la révolution coloniale » au II° congrès de l’Internationale communiste en 1920. Sur les différentes interprétations après 1945 : Ernest Mandel : La pensée politique de Trotsky (1980) ; Tony Cliff : La révolution permanente déviée (première version en 1963) ; Lutte ouvrière : Politique des nationalistes révolutionnaires et politique des révolutionnaires prolétariens. (Lutte de classe n°11 - septembre 1987).
[7] Dans son article déjà cité, Michel Husson ne revient pas seulement sur les « théories de la dépendance » de Samir Amin et Pierre Jalée entre autre, dont les raisonnements étaient bien différents de ceux élaborés par Trotsky sur le « développement inégale et combiné ». Il permet de comprendre le paradoxe d’une théorie en décalage avec les évolutions en train de se dérouler au même moment… Où l’on rejoint à nouveau la question de la « révolution permanente ». Car c’est précisément au moment où le contexte change après la Deuxième Guerre mondiale - au moment où les bourgeoisies encore embryonnaires du Tiers-Monde retrouvent de nouvelles marges de manœuvre sur le plan économique et politique pour bâtir une économie nationale (face à un prolétariat désarmé, et avec le soutien de l’URSS engagée dans la guerre froide) - que les théories de la dépendance commencent à fleurir pour expliquer exactement le contraire. Une leçon de chose.
[8] « … les mouvements fondamentalistes ne font pas que réagir à ce que font les puissances impérialistes. Ils sont devenus des acteurs à part entière, avec leurs propres projets, leurs propres histoires, leurs propres enracinements ».
[9] On peut néanmoins relire avec un certain intérêt le Manifeste de la IV° Internationale sur la guerre impérialiste et la révolution socialiste mondiale. Manifeste d’alarme publié le 23 mai 1940. Pour se souvenir que combattre « la barbarie » ne veut pas dire renoncer à une boussole de classe, ni oublier comment la réalité de l’impérialisme continue à structurer profondément le monde capitaliste contemporain. Face à l’urgence d’une situation (et à l’indignation légitime), on ne peut pas non plus perdre tous ses repères, comme ce fut le cas également dans le passé : comme par exemple croire à l’époque de Trotsky qu’on pouvait au nom du moindre mal soutenir la Tchécoslovaquie face à l’Allemagne sous prétexte que les pays d’Europe centrale étaient de « petits pays » (qui plus est « démocratique » dans le cas de la Tchécoslovaquie, au nom d’une opposition entre « démocratie » et « fascisme » qui mettrait au second plan le caractère impérialiste de la guerre à venir) ; ou rallier la « résistance nationale » après 1940 en France, en renonçant à toute politique antifasciste indépendante sur des bases de classe, puisque la France - en étant « occupée » et « pillée » par les Nazis – aurait alors cessé d’être un pays impérialiste… Un vieux débat car au-delà des différences évidentes ente ces deux périodes, il y en réalité des modes de raisonnements qui sont très comparables.
[10] Yvan : « De la même façon que la politique impérialiste est née de la crise interne du capitalisme anglais, une politique impérialiste de la Chine résulterait de ses contradictions internes, de l’incapacité des classes dirigeantes chinoises à apporter une réponse à la question sociale. De là peut résulter une lutte pour le leadership mondial. ».
[11] On rappellera à ce sujet qu’avec un budget militaire annuel de près de 700 milliards de dollars, les sommes engagées par les États-Unis dépassent la somme totale des budgets des dix puissances les plus importantes après eux… Un exemple sur le plan diplomatique mériterait d’être particulièrement approfondi : la multiplication des accords bilatéraux par les États-Unis après l’échec de la ZLEA en Amérique latine en 2005. Car sur le plan des rapports de force politique, on est là aussi sans doute bien loin de l’affaiblissement supposé. De la même manière sur la plan économique, lorsqu’on multiplie les références aux déficits américains en négligeant le caractère totalement inadapté des comptabilités nationales face à la réalité des FTN (et très concrètement le fait par exemple qu’une partie aujourd’hui très importantes des importations américaines sont des produits américains).
[12] C’est ce que rappelle notamment le Stockholm International Peace Research Institute : alors que le nombre de conflits avait régulièrement augmenté après 1945 (contexte de la guerre froide et de la décolonisation), provoquant au total près de 40 millions de morts, on constate une baisse globale du nombre de conflits depuis la fin de cette période: 36 en 1989 et 17 en 2009.
[13] Ce qui supposerait au passage de rompre avec certaines incohérences au sein du NPA. Comme par exemple affirmer, face à la montée des idées du Front National, qu’il faudrait mener un combat spécifique, pour ne pas en rester au « tous ensemble » dans les mobilisations sociales qui ne suffira pas à faire reculer les idées réactionnaires. Mais face à la montée de l’antisémitisme, et à la prégnance du discours politique islamique (sans parler des ravages provoqués par les théories complotistes dans toutes sortes de milieux), il suffirait par contre de faire la démonstration que nous sommes dans le même camp contre l’islamophobie et le racisme d’État ? Et le reste viendrait ensuite tout seul ? C’est évidemment un peu court et déséquilibré, parfois justifié par l’idée que si on a affaire à un racisme qui ne serait pas celui de la classe dominante, ce serait moins un problème pour nous. Ce qui sous-estime totalement les enjeux et l’ampleur du problème, non pas d’un point de vue moral, mais politique.
[13] Un exemple significatif est celui d’Ernest Mandel lorsqu’il imagine encore en 1988 une « révolution politique » en URSS sur le modèle de celle qu’imaginait Trotsky. Le fait qu’elle n’ait pas eu lieu a du coup été interprété comme la preuve qu’on était en face d’un nouveau recul considérable, une étape majeure. Alors que ça illustrait bien plus simplement le fait que l’observateur lui-même avait pris beaucoup de retard sur la compréhension des faits depuis plusieurs décennies, en se contentant de reprendre de manière figée des raisonnements d’une autre époque.

About Anticapitalisme & Révolution !