Les mobilisations sociales dans un contexte d'état d'exception

Les jours qui ont immédiatement suivi les attentats du 13 novembre ont été un révélateur des liens entretenus par les directions syndicales avec le PS au gouvernement. Le suivisme et l’accompagnement des réformes depuis 2012 se sont transformés, sous l’impact de l’émotion et de la forte pression à l’unité nationale qu’elle a engendrée, en loyauté par rapport à la politique de Hollande.

Le mois de novembre laissait pourtant présager un possible réchauffement social, avec des grèves annoncées. Mais peu après l’épisode de la chemise déchirée, qui avait mis du baume au cœur de bien des travailleurs… patatras ! Après l’annonce par le gouvernement de la mise en place de l’état d’urgence et de l’interdiction de manifester – temporaire, mais renouvelable –, les intersyndicales ont d’elles-mêmes fait le sale boulot, en annulant la journée de grève à Air France à l’occasion du CCE du 19 novembre ; en annulant celle du 18 novembre dans les Finances publiques, et celle du 17 novembre à l’AP-HP autour de laquelle se jouait la possibilité d’une reprise de ce mouvement.

Cette décision des directions syndicales est évidemment une atteinte directe à la possibilité de construire des mobilisations nationales et, du même coup, de les rendre visibles. Une fois que l’on accepte une première injonction à renoncer à la visibilité de la classe ouvrière au nom du recueillement et de la tristesse, ce sont les droits élémentaires des travailleurs à revendiquer qui sont mis en péril. La date du 22 novembre, qui s’annonçait comme une journée importante de manifestation en solidarité avec les réfugiés, est passée à la trappe et n’aura existé que par la mobilisation d’une partie des réfugiés/ées eux-mêmes, des organisations d’extrême gauche – avec en première ligne le NPA – et de quelques sections syndicales comme la CGT 75 ou Solidaires 92.

A la veille de deux grands week-ends d'initiatives contre la COP21, dont la manifestation internationale du samedi 12 décembre, les organisations syndicales se sont clairement placées du côté de l’ordre républicain, celui-là même qui intensifie ses interventions militaires et assigne à résidence des militants écologistes. Au lendemain du 29 novembre, des arrestations de la place de la République et des dizaines de gardes à vue notamment celles de nombreux enseignants, la FSU, première fédération syndicale dans l’éducation, s’est permis d’analyser ainsi la situation : « Mais les mesures d’urgence créent des conditions particulières […]. Certaines sont disproportionnées voire inefficaces et s’éloignent de l’objectif affiché par le gouvernement de lutter efficacement contre le terrorisme […]. Car pour la FSU, l’état d’urgence ne doit pas viser à restreindre les libertés individuelles et collectives […] ».

Malgré tout, localement, la violence des attaques patronales n’ayant pas connu de trêve, les salariés/ées n’ont pas eu d’autre choix que de faire fi des considérations bureaucratiques et de défendre leurs propres revendications, essentiellement sur les salaires, d’ailleurs.

Des mobilisations... malgré les directions syndicales

Les luttes n’ont donc pas cessé. Dans les hôpitaux, à La Poste où les conflits se multiplient ; en Guadeloupe, en PACA, en Eure-et-Loir ; à Saint-Gobain, Géodis, à la SNCM ou la RATP, etc. Les semaines qui ont suivi le 13 novembre ont vu perdurer les conflits, qui ont correspondu à ce que décrivait un article du journal Le Monde du 23 décembre 2015 : moins de grèves depuis 2008, mais quand elles se produisent, le nombre de jours sans travailler augmente, de même que le nombre de grévistes. D’une certaine façon, cela correspond bien au contexte général, à cette absence de prise en charge nationale d’un bras de fer avec le patronat et le gouvernement, ce qui entraîne du coup des bagarres plus longues du fait d’un rapport de force moins facile à construire localement.

Bien sûr, la politique des bureaucraties syndicales n’est pas une surprise. Alors qu’elles ont déjà lamentablement saboté la grève interprofessionnelle du 8 octobre qu’elles avaient elles-mêmes convoquée fin juin, qu’attendre des directions syndicales quand l’État en appelle à la responsabilité collective face au terrorisme ? Dans la perspective de la reconstruction du mouvement ouvrier, il importe donc qu’agissent ensemble les organisations, associations et structures syndicales opposées depuis le début à cet état d’urgence et à ses conséquences.

Armelle Pertus

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