Quelques enseignements tirés de l’expérience des bolcheviks (1890-1914)

On affirme souvent que le Parti bolchevik est né en 1903, lors de la fameuse division avec les mencheviks. Aurait ainsi été déterminante la discussion autour de qui était membre du parti : quelqu’un qui était d’accord avec son programme, ou seulement celles et ceux activement engagés dans l’une de ses organisations. Le débat de 1903 préfigura en effet la question « parti d’avant-garde ou parti large ». Pourtant, le Parti bolchevik ne se constitua formellement en tant que parti séparé des mencheviks... qu’en 1912.

Et à bien des égards, le parti ne vit pas le jour en 1912, mais bien avant : il est impossible de comprendre comment ceux qui n’étaient qu’une poignée d’intellectuels en 1903 parvinrent à construire un parti ouvrier capable de diriger la plus grande révolution de tous les temps, sans tenir compte de la façon dont ils commencèrent à militer dès les années 1890.

Les origines de la social-démocratie russe

Le régime tsariste consacrait 80 % de ses dépenses à la répression. C’était la pire dictature au monde, au tournant des XIXème et XXème siècles. La société russe était doublement instable : du fait de son retard, et du fait de sa modernité. Son développement tardif, qui s’inscrivait dans une relation de dépendance et de concurrence avec les grandes puissances occidentales, fit rapidement naître une classe ouvrière minoritaire au milieu d’un océan de paysans très majoritairement pauvres ; mais cette classe ouvrière était très concentrée, face à un régime qui s’appuyait sur un appareil d’État despotique pour la contenir.

C’est dans ce contexte que toute une jeune génération se lança dans le combat révolutionnaire, entre les années 1870 et 1900. Les meilleurs éléments de la jeunesse s’engagèrent à corps perdu. Dans les premiers temps, en l’absence de luttes de masse et dans une situation qui paraissait bloquée, des jeunes gens influencés par l’anarchisme partirent à l’assaut du régime à coups d’attentats. Ils réussirent même à assassiner le tsar en 1881 ; cette action fut suivie d’une répression féroce, et les révolutionnaires dits « populistes » décidèrent alors d’effectuer un « tournant » vers la paysannerie. Ce fut un nouvel échec : les paysans se méfiaient de ces jeunes intellectuels... si bien que certains se firent même dénoncer aux autorités !

Dans les années 1890, la toute première génération de marxistes russes se différencia de ce courant. Plekhanov affirma, en 1889 : « Le mouvement révolutionnaire ne peut triompher en Russie qu’en tant que mouvement révolutionnaire ouvrier ». Ceux qui étaient capables de renverser cette horrible dictature, c’étaient les travailleurs : Plekhanov fut le premier à tracer la perspective programmatique générale de la social-démocratie russe. Cette perspective, une deuxième génération la prit au mot à partir des années 1890 ; de jeunes militantes et militants issus des classes supérieures se firent embaucher dans des écoles du soir et du dimanche pour entrer en contact avec les ouvriers. Parmi ces derniers, dans une société en ébullition mais qui leur refusait presque tout droit, nombreux étaient ceux et celles qui avaient soif d’apprendre à lire, à écrire, à découvrir la science et la littérature...

Les militants repéraient les prolétaires les plus susceptibles d’être intéressés par leurs idées, et les recrutaient clandestinement à des réunions de « cercles », dans les bois ou dans un lieu reculé, pour lire ensemble des livres marxistes.

Au milieu des années 1890, une vague de grève commença en Russie. Au départ, une bonne partie des ouvriers qui participaient aux cercles de discussion et de lecture eurent pour réflexe de se tenir à l’écart du mouvement, trop turbulent à leur goût. Mais les militants, pour corriger le tir, développèrent une nouvelle méthode de travail, décrite dans la brochure Sur l’agitation de Martov et Kremer : il fallait s’adresser aux ouvriers par la voie de tracts, de bulletins d’entreprises, en prenant comme point de départ leurs préoccupations, pour leur montrer que seule la lutte contre le régime leur permettrait de s’en sortir.

Lénine, qui fit partie de cette génération militante, écrivit des traités théoriques volumineux. Mais le répertoire des militants s’élargit : on publia des bulletins et des brochures, comme celle « Sur les amendes », où Lénine expliquait en détail le fonctionnement du système d’amendes dans les usines. Le style de travail évolua. Les réunions de cercle organisées par Lénine étaient divisées en deux parties : la première portait toujours sur l’étude d’une question théorique à travers la discussion d’un livre, tandis que la seconde était consacrée à discuter du lien de cette question avec l’expérience des participants. C’est ce lien entre théorie et pratique, et cette rencontre entre jeunes intellectuels révolutionnaires et une couche d’ouvriers avancés, qui débouchèrent sur la formation du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) à la toute fin du XIXème siècle. Les militants social-démocrates réussirent ainsi à jouer un rôle significatif dans le mouvement de grève de 1896 initié par le secteur textile : le tsar concéda une loi qui réduisit le temps de travail. Pour la première fois, l’action propre de la classe ouvrière, elle-même influencée par les révolutionnaires, eut un impact sur l’attitude du gouvernement.

Le congrès de 1903 : essentiellement un débat sur les statuts du parti ?

Tout le travail militant des années 1890 avait été effectué par des petits groupes dispersés. L’idée d’essayer de les regrouper ne tarda pas à germer, d’autant qu’après la première avancée ouvrière de 1896-1897, le régime avait durci la répression. Lénine et bien d’autres furent arrêtés et envoyés en prison, puis en exil.

Le premier congrès du POSDR, en 1898, fut une première tentative d’unifier les cercles marxistes. Neuf délégués – dont aucun ouvrier – se réunirent. Huit d’entre eux se firent arrêter le lendemain du congrès, dont le résultat organisationnel fut nul.

Plekhanov et les jeunes dirigeants de la « deuxième génération » de marxistes russes, dont Lénine et Martov, tentèrent de tirer les conclusions de cet échec. Ils se lancèrent alors dans un projet étonnant : unifier les cercles marxistes sur la base d’un programme clair, dont l’idée centrale était le rôle dirigeant de la classe ouvrière dans la lutte pour renverser le tsarisme, et construire une organisation rigoureusement centralisée capable de diriger ce soulèvement... à partir d’une revue éditée par six personnes à des milliers de kilomètres de la Russie ! L’Iskra (« l’étincelle ») naquit en 1901. Grâce à la diffusion de leur revue, les « iskristes » parvinrent à créer un réseau militant qui militait activement dans les grandes villes selon la ligne éditoriale. Face aux iskristes, un courant « économiste » se développa, qui relativisait l’importance de la lutte politique contre le régime. Les tenants de l’économisme estimaient que si l’on discutait trop des questions de programme, on risquait de se diviser.

Lénine rétorqua que discuter jusqu’au bout du programme, c’est-à-dire des buts et des moyens d’action fondamentaux du parti, c’était ce qui allait permettre de distinguer les désaccords fondamentaux des divergences secondaires. C’était indispensable pour conférer une homogénéité révolutionnaire aux cercles initialement dispersés et marqués par des expériences particulières, et pour pouvoir réagir rapidement, de la même manière, face à des situations complexes et inattendues.

En 1903, les iskristes réussirent à organiser un congrès, représentatif de plusieurs centaines de militants marxistes, et cette fois-ci en déjouant la répression. Les forces en présence étaient les iskristes, les économistes et les « bundistes » ; ces derniers cherchaient à représenter les ouvriers juifs de l’empire russe. Les iskristes mirent au centre du congrès l’objectif d’un parti centralisé pour préparer l’insurrection contre le régime. Les économistes voulaient plutôt un parti souple, centré sur la construction des luttes ouvrières quotidiennes, entreprise par entreprise, et qui, finalement, laissait de côté la lutte contre le tsarisme. Il n’y avait pas besoin d’un parti centralisé pour un tel objectif. Les bundistes s’accommodaient bien d’un parti fédéral tel que le proposaient les économistes ; les exigences inverses des iskristes provoquèrent leur départ du congrès. Les iskristes se retrouvèrent majoritaires, mais contre toute attente, ils se divisèrent violemment. Alors que la question des statuts était, à juste titre, considérée comme essentielle, les bolcheviks furent minoritaires sur cette question. S’ils furent considérés comme « majoritaires », c’est parce qu’ils gagnèrent au vote sur une autre question, celle qui enflamma le congrès : la composition du comité de rédaction de l’Iskra. Lénine voulait tirer les conclusions pratiques des principes programmatiques adoptés : pour construire un parti dont l’objectif était d’unifier les luttes vers une insurrection, il fallait une organisation capable de prendre des décisions nettes. Pour ce faire, Lénine proposa de réduire le comité de rédaction du journal de six à trois membres : Lénine, Martov et Plekhanov, ce qui revenait à en écarter en particulier Zassoulitch et Axelrod, vétérans du mouvement. Pour Lénine, il s’agissait de disposer d’un organe de direction qui comptait ceux qui accomplissaient l’essentiel du travail, et qui pouvaient prendre des décisions majoritaires, ce qui était difficile à six ; peu importait si cela froissait des susceptibilités. L’émoi suscité par la proposition de Lénine, votée majoritairement, devint le prétexte d’une campagne de dénigrement de la part des militants mis en minorité : Lénine était un « monstre » assoiffé de pouvoir… Les mencheviks (« minoritaires ») n’acceptèrent pas les décisions de ce congrès et boycottèrent le comité de rédaction. En un mot, ils sabotèrent les efforts considérables déployés pour organiser le congrès. Le fond du débat de 1903 était de décider s’il fallait construire ou pas une organisation de révolutionnaires liés par l’objectif commun du renversement du régime par la classe ouvrière, une organisation qui plaçait les principes politiques au-dessus de toute considération personnelle.

Et c’était effectivement l’accord sur les principes programmatiques qui constituait, pour Lénine, la base de regroupement d’un parti : en cas d’accord sur les principes, il fallait s’atteler, malgré les divergences, à construire un même parti. Mais lorsqu’en octobre 1904, les mencheviks défendirent une alliance avec la « bourgeoisie libérale » dans la lutte contre le régime, Lénine prit position pour scissionner d’avec les mencheviks. D’un certain point de vue, l’idée d’un parti « purement bolchevik » vit le jour en 1904, et non pas en 1903…
Le test de la Révolution de 1905
La Révolution de 1905 constitua un test pour tous les courants, y compris pour les bolcheviks. Le flux révolutionnaire sembla emporter mencheviks et bolcheviks dans la même direction. La situation elle-même mettait l’insurrection à l’ordre du jour, et les vieux désaccords passèrent au second plan, à tel point qu’en pleine révolution, un congrès commun se tint.

Pendant toute la première phase de la révolution, les bolcheviks péchèrent clairement par sectarisme : en mars-avril 1905, Lénine écrivit une lettre au comité de Saint-Pétersbourg, où il se scandalisait de son incapacité à recruter le moindre nouveau contact. « Mettez-vous à l’école des mencheviks ! », leur dit-il ! Mais la génération de militants qui n’avait connu que les « comités » clandestins – et pas forcément le travail de la période précédente, celui d’établir un lien intime avec les ouvriers et ouvrières – alla jusqu’à prendre position contre la possibilité d’intégrer des travailleurs aux comités du parti, pour ne réserver ceux-ci qu’aux seuls « révolutionnaires professionnels » ! Sous la pression révolutionnaire, Lénine finit par avoir raison de la résistance de ces « comitards », et il rallia les bolcheviks à une vision politique qui faisait des soviets la base du gouvernement révolutionnaire. Pour Lénine, en période de montée révolutionnaire, il fallait ouvrir les portes du parti aux ouvriers combatifs.

L’évolution des effectifs du POSDR fut révélatrice de la transformation du parti :
  • Fin 1905, les bolcheviks étaient 8 400, dont 60 % d’ouvriers d’usine et 27 % de travailleurs de bureau ou du commerce ;
  • Avril 1906 : 13 000 bolcheviks, 18 000 mencheviks ;
  • Octobre 1906 : 33 000 bolcheviks, 43 000 mencheviks ;
  • 1907 : sur 150 000 social-démocrates dans tout l’empire, 46 000 bolcheviks contre 38 000 mencheviks (le reste est constitué du Bund et des social-démocrates polonais et lettons).
D’un petit groupe d’intellectuels révolutionnaires, la social-démocratie russe était passée à un parti ouvrier de masse.

La Révolution de 1905 plaça les bolcheviks face à une nouvelle question, celle de ce qu’on allait appeler plus tard le « Front unique ». En janvier 1905, c’était un prêtre, le pope Gapone, qui était à la tête de la grande manifestation de 200 000 personnes venues humblement remettre au tsar une pétition en faveur des droits ouvriers, au son des chants religieux. Le tsar fit tirer à balles réelles sur la foule ; il y eut des centaines de morts, et ce fut le coup d’envoi de la révolution. Sous la poussée des masses ouvrières, le mouvement de Gapone – en fait initié par le régime pour contrer les social-démocrates – se radicalisa : le lendemain du « dimanche sanglant », le pope Gapone déclara qu’il y avait désormais un fleuve de sang entre le tsar et le peuple. Il proposa une alliance de tous les partis socialistes en vue de l’insurrection… Lénine releva le pari, et il chercha même à gagner le pope Gapone à ses idées, tout en préservant bien sûr l’indépendance des bolcheviks.

Et ce fut justement la vieille question de l’insurrection qui fut cette fois-ci posée d’une manière bien plus pressante que lors des débats en comité restreint, quelques années plus tôt. La révolution commença en janvier 1905. En octobre, la grève générale à Saint-Pétersbourg força le tsar à promettre des droits démocratiques pour désamorcer le mouvement, tout en gagnant du temps pour se préparer à le réprimer. En décembre eut lieu l’insurrection de Moscou, dirigée par le parti bolchevik, héroïque mais qui arriva trop tard et resta isolée. Le tsar disposait d’encore suffisamment d’appuis dans la paysannerie et l’armée pour écraser le mouvement, d’abord à Moscou, puis dans le reste du pays.

Lénine tira de l’expérience de Moscou l’enseignement selon lequel, en période révolutionnaire, il fallait au sens propre apprendre à se battre physiquement : faire la révolution, c’était se mettre en capacité de vaincre l’adversaire, y compris sur le plan militaire. Dès octobre 1905, il écrivit à ses camarades : « Formez sur-le-champ, en tous lieux, des groupes de combat, formez-en parmi les étudiants et surtout les ouvriers, etc., etc. Que des détachements de 3, 10, 30 hommes et plus se forment sur-le-champ. Qu’ils s’arment eux-mêmes sur-le-champ, comme ils peuvent, qui d’un revolver, qui d’un couteau, qui d’un chiffon imprégné de pétrole pour servir de brandon. […] N’exigez aucune formalité, moquez-vous, pour l’amour de Dieu, de tous les schémas, envoyez, pour l’amour de Dieu, les “fonctions, droits et privilèges” à tous les diables. N’exigez pas d’affiliation obligatoire au P.O.S.D.R., ce serait pour l’insurrection armée une revendication absurde. […] Les propagandistes doivent fournir à chaque détachement les recettes de bombes les plus simples et les plus concises, un exposé élémentaire du genre d’action à fournir, et leur laisser ensuite les mains libres. Les détachements doivent commencer sur-le-champ leur instruction militaire par des opérations de combat. Les uns entreprendront tout de suite de tuer un mouchard, de faire sauter un poste de police, les autres d’attaquer une banque pour y confisquer les fonds nécessaires à l’insurrection, d’autres encore feront des manœuvres ou dresseront les plans des localités, etc. L’indispensable est de commencer tout de suite l’instruction par l’action : ne craignez pas ces tentatives d’agression. Elles peuvent naturellement dégénérer. Mais ce sera le mal de demain ; notre inertie, notre raideur doctrinaire, notre savante immobilité, notre crainte sénile de l’initiative, voilà le mal d’aujourd’hui ».

En somme, pour Lénine, la construction d’un parti révolutionnaire ne se limitait pas à convaincre patiemment des ouvriers de la nécessité théorique du renversement du capitalisme. C’était être en mesure, au moment décisif, d’organiser l’insurrection.

Les années de réaction (1907-1910)


L’insurrection échoua, et à partir de 1907, bien des militants furent arrêtés, emprisonnés.
Ce fut une période de démoralisation et de reflux ; une large partie de ceux qui n’avaient pas été arrêtés se détournèrent de l’action révolutionnaire pour faire carrière, notamment parmi les intellectuels. Les vieux débats refirent surface avec encore plus de force.

Une tendance surgit parmi les mencheviks à partir de 1908 : les « liquidateurs », qui voulaient en finir avec les organisations clandestines. Le tsarisme ne leur laissait que peu d’espace légal : sociétés de secours mutuel, parfois syndicats ; les liquidateurs estimaient qu’il fallait s’en saisir, au lieu de vainement construire des organisations clandestines qui ne faisaient que provoquer la répression.

Parmi les bolcheviks, une autre tendance s’organisa autour de Bogdanov, jeune et brillant dirigeant. Pour lui, l’insurrection était au bout de la rue. La tradition de lutte armée issue du soulèvement révolutionnaire de 1905-1907 survivait effectivement, mais isolés des masses, les groupes armés étaient de plus en plus difficiles à distinguer des bandes de criminels qui agissaient pour leur propre compte. Les partisans gauchistes de Bogdanov, refusant de voir la réalité en face, comptaient illusoirement sur ce type d’actions pour raviver la flamme révolutionnaire et ne cherchaient qu’à construire des organisations clandestines.

Si une société d’éducation pour travailleurs, légale, existait quelque part, les partisans de Bogdanov exigeaient que les militants la quittent et passent à la clandestinité pour préparer l’insurrection… dont la perspective s’éloignait, ce qui isolait totalement les militants. Les liquidateurs, eux, exigeaient que les militants cessent toute activité clandestine et se concentrent exclusivement sur une activité légale. Quant aux bolcheviks, ils défendaient la nécessité de combiner l’intervention dans ces structures légales avec la construction de structures illégales. Renoncer aux structures légales, c’était rompre tout lien avec les masses, et renoncer à toute activité clandestine, c’était tout simplement renoncer à la lutte pour renverser le régime.

Les bolcheviks majoritaires dans le mouvement ouvrier au moment de la remontée ouvrière (1912-1914)

Ce fut cette lutte pour un programme révolutionnaire lié à la situation réelle qui permit aux bolcheviks de devenir une force à la fois cohérente et capable de gagner une majorité dans la classe ouvrière.

En 1912, les bolcheviks convoquèrent un congrès du POSDR, auquel ils invitèrent tous les courants (partisans de Bogdanov, de Trotsky, Plekhanov, mencheviks) à l’exception des liquidateurs, dans la mesure où ils avaient tourné le dos à l’objectif révolutionnaire. Seuls les bolcheviks et quelques mencheviks participèrent au congrès. Les bolcheviks se constituèrent en parti distinct, et furent à partir de ce moment-là dotés d’un programme et d’une cohésion militante.

La vague révolutionnaire recommença justement à partir de 1912. Juste avant la Première Guerre mondiale, durant l’été 1914, des combats de rue éclatèrent à Saint-Pétersbourg.
Si en 1905, les ouvriers avaient amorcé leur mobilisation en se rangeant derrière un prêtre, à partir de 1912, la classe ouvrière se remobilisa en s’organisant sous l’égide d’un parti ouvrier révolutionnaire : le parti bolchevik. Celui-ci conquit une majorité très rapidement, dès 1912. Il prit un poids prépondérant dans les organisations ouvrières de masse : les syndicats, notamment celui des métallurgistes, et les sociétés d’assurances ouvrières. Les ventes de journaux bolcheviks surpassèrent celles des publications mencheviks. En 1914, 240 000 exemplaires de la Pravda furent vendus dans 9 444 villes… ce qui est plutôt impressionnant pour un journal illégal !

De son côté, Trotsky fit en août 1912 une autre tentative, celle de regrouper toutes les forces, des gauchistes aux liquidateurs. Ce fut le « Bloc d’août » ; au départ, sur le papier, ce bloc parut regrouper plus de forces que les bolcheviks. Trotsky pensait alors que sous la pression de la lutte de classes, tous les courants allaient finir par tomber d’accord, comme en 1905. Mais au bout d’un an, le « Bloc d’août » se désagrégea, car il avait été édifié sur du sable : les forces qui le composaient n’étaient liées par rien, excepté par leur hostilité aux bolcheviks.

Les bolcheviks s’étaient sérieusement implantés dans la classe ouvrière, car ils étaient convaincus qu’il s’agissait de la force révolutionnaire centrale ; ils s’étaient préparés à l’insurrection, en en tirant toutes les conséquences, même quand sa perspective paraissait s’éloigner ; en parvenant à dépasser les divergences secondaires, ils s’étaient regroupés autour d’un programme qui énonçait les buts essentiels. Tous ces éléments, réunis quelques années à peine avant 1917, constituèrent pour les bolcheviks des atouts indispensables leur permettant de jouer le rôle historique qui fut le leur.


Jean Hilde

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